Tsedek/Butler

« Nous avons besoin de construire un espace de solidarité transnationale »

Ce texte est issu de la prise de parole du collectif Tsedek! lors de la journée de rencontre avec Judith Butler le 3 mars 2024, intitulée « Contre l’antisémitisme et son instrumentalisation, pour la paix révolutionnaire en Palestine » et co-organisée par Tsedek, l’UJFP, Paroles d’honneur, le NPA, l’AFA et Révolution Permanente.

La lutte contre l’antisémitisme, aujourd’hui, en France, doit continuer à être menée. On n’en a pas fini avec les insultes et les actes qui visent des juif.ves comme juif.ves, et qui témoignent de la persistance des idées antisémites dans la société française – et ces idées sont très majoritairement portées par l’extrême-droite, plus à droite qu’avant dans l’expression de son anti-judaïsme, mais pas moins efficace dans sa mise en circulation.

Pourtant, ce que nous avons sous les yeux, c’est un détournement par les pouvoirs publics de la lutte contre l’antisémitisme, qui se trouve désormais utilisée comme un outil de légitimation de politiques autoritaires et racistes. L’antisémitisme est présenté comme un mal anhistorique et l’antisionisme comme sa forme réactualisée. En criminalisant les expressions de solidarité avec le peuple palestinien au nom de la lutte contre l’antisémitisme, la politique menée par le gouvernement associe publiquement et collectivement les juif.ves à l’Etat israélien, et à la politique génocidaire de son gouvernement, s’appropriant ainsi les juif.ves non seulement comme une minorité alliée, mais les désignant aussi comme les ennemis des arabes et des musulmans. Cette opération nourrit à la fois l’antisémitisme et l’islamophobie. Elle nous met toutes et tous en danger.

 

« Un État qui applique des politiques racistes ne peut pas faire partie des moyens de la lutte contre l’antisémitisme »

 

Identifier les discours philosémites et s’y opposer est donc un enjeu crucial de la lutte contre le racisme, comme de la lutte contre l’antisémitisme aujourd’hui. Tandis que l’antisémite crée un juif dangereux et menaçant, le philosémite crée un juif qu’il peut aimer, une altérité qu’il tolère, ou mieux encore, une altérité modèle compatible avec ses valeurs. On peut voir là une façon d’effacer des siècles de haine, d’exclusion et de violences antijuives en Europe et d’invisibiliser la permanence d’un antisémitisme structurel dans les pays occidentaux. Et cette manière d’inclure les juif.ves dans la construction de la nation, ou dans la soi-disant culture « judéo-chrétienne », n’est donc douce et progressiste qu’en apparence, puisqu’elle s’accompagne en fait d’une prescription – exclure les musulmans et réprimer l’islam – afin de réaffirmer l’autorité de l’État et de laver la conscience nationale. Mais en réalité, l’État français et sa politique assimilationniste continuent d’abîmer les juif·ve·s. Ni trop visibles, ni trop barbares, nous sommes acceptables à condition de rester les éternelles victimes qui permettent à l’État de se rêver en protecteur, tout en continuant à fabriquer les conditions de notre disparition.

Isoler les juifs des autres minorités est donc un piège dangereux qui ne doit pas se refermer sur nous. Il est difficile d’imaginer une situation plus confuse que celle qui s’est aujourd’hui imposée, dans laquelle la lutte contre l’antisémitisme est détournée par des acteurs politiques qui facilitent en retour la circulation de l’antisémitisme. Si la lutte contre l’antisémitisme doit être, comme le mal qu’elle combat, multiforme, sa dimension politique est centrale : son instrumentalisation doit être dénoncée, car un État qui applique des politiques racistes ne peut pas faire partie des moyens de la lutte contre l’antisémitisme. La boussole de cette lutte doit être cherchée du côté de la justice, de l’émancipation collective et des débouchés politiques en rupture avec les structures qui produisent l’antisémitisme – et l’antisémitisme a toujours pu s’accommoder du sionisme et de sa promesse de vider l’Europe de sa part juive en créant un foyer national juif en Palestine.

 

« Ni trop visibles, ni trop barbares, nous sommes acceptables à condition de rester les éternelles victimes qui permettent à l’État de se rêver en protecteur, tout en continuant à fabriquer les conditions de notre disparition »

 

Si un front diasporique est indispensable aujourd’hui, c’est qu’il est plus que jamais essentiel de ne pas se laisser capter par la proposition politique du sionisme, qui s’avère aujourd’hui aussi destructrice qu’auto-destructrice : contre le mythe d’un judaïsme monolithique et tributaire d’Israël, Tsedek ! affirme au contraire la richesse des judéités, leur diversité, leur capacité à porter des propositions politiques et culturelles inscrites dans la longue tradition de l’histoire des opprimé.e.s, qui est aussi une histoire de résistance aux différentes formes de la domination. Contre le suprémacisme ethno-nationaliste produit par le sionisme politique, dont les palestinen.nes sont les premières victimes, mais qui fait aussi, différemment, de nombreuses victimes juives, en Israël et en dehors, nous rejoignons la proposition de Judith Butler : réengager la pensée juive, les voix juives, et il y en a, et il nous est aujourd’hui absolument nécessaire de les entendre, pour travailler à articuler les expériences juives de la diaspora et les expériences palestiniennes de la dépossession, depuis lesquelles on pourra envisager les formes de notre cohabitation comme l’espace où une vie politique est possible. C’est aussi cette cohabitation qui permettra de faire apparaître l’impasse politique que constitue l’acte désespéré du sacrifice individuel d’une vie, celle d’Aaron Bushnell en l’occurrence, un jeune homme juif et états-unien de 25 ans qui s’est immolé par le feu dimanche dernier devant l’ambassade d’Israël à Washington, en signe de protestation radicale contre le génocide en cours à Gaza.

Pour contribuer à faire exister l’horizon politique qui est le nôtre, où il n’y a pas de justice sans égalité et pas de paix ni de justice sans égalité, nous avons besoin de construire un espace de solidarité transnationale, avec un agenda internationaliste. Nous sommes en train de l’organiser avec nos alliés antiracistes, anticolonialistes, anti-impérialistes, juifs et non-juifs : le 30 mars aura lieu à Paris un meeting rassemblant des personnalités et des groupes juifs non-sioniste et/ou antisioniste de la diaspora européenne et au-delà, mais aussi des représentant.es des mouvements de libération de la Palestine, des allié.es d’organisations politiques, avec le projet que puisse émerger de cet espace de cohabitation décoloniale des alliances effectives et multiples à partir desquelles mieux résister à l’ordre actuel du rapport de force.

Le collectif Tsedek!

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