Tweet d'arrêt sur images annonçant l'article sur l'affaire Théry

Affaire Julien Théry : Nos réponses à Arrêt sur images

Le 3 décembre dernier, nous étions contacté·es par la journaliste d’Arrêt sur images Élodie Safaris, qui nous proposait de répondre à ses questions en vue de rédiger un article autour de l’affaire Julien Théry. Notre point de vue était notamment censé contrebalancer ceux exprimés par Alexandre Journo et Émile Ackerman, déjà interrogés par la journaliste en raison de leur expertise supposée en matière d’antisémitisme.
L’article final nous semble poser problème à plus d’un titre. Tout d’abord, nos interventions sont réduites à la portion congrue, ce qui ne permet pas de restituer notre position sur cette affaire, et donne l’impression que nous n’aurions rien à répondre d’autre que «circulez, y’a rien à voir» aux accusations d’antisémitisme portées contre la gauche.
Un autre problème tient au cadrage général de l’article, qui constitue comme interlocuteurs légitimes pour parler de lutte contre l’antisémitisme des personnes ayant à de multiples reprises exprimé leur racisme anti-palestinien et leur soutien au génocide actuel en Palestine. Plus problématique encore, leur positionnement politique, et notamment leur soutien à l’État colonial israélien, n’est jamais mentionné dans l’article. Cet élément semble pourtant de nature à éclairer les raisons qui les poussent à adopter un certain point de vue sur l’affaire Julien Théry qui, rappelons-le, a pour origine la dénonciation par ce dernier d’une pétition déplorant la reconnaissance par la France de l’État de Palestine.
Pour toutes ces raisons, et afin d’alimenter une discussion essentielle au vu de l’instrumentalisation constante de l’antisémitisme dans le débat public, nous publions ci-dessous les réponses que nous avions fournies à Arrêt sur images.

ASI : Qu’est-ce que le traitement médiatique de cette affaire raconte, pour vous, des raccourcis médiatiques et de l’instrumentalisation quasi quotidienne des accusations d’antisémitisme ?

Tsedek! : L’accusation d’antisémitisme à l’encontre de Julien Théry est diffamatoire et s’incscrit dans une stratégie politique plus large de criminalisation de la gauche radicale en général, de l’antiracisme politique et du mouvement de solidarité avec le peuple palestinien en particulier. Ce n’est pas un hasard si cette campagne d’attaque survient au lendemain de la sortie de son livre et de ses apparitions médiatiques – alors même que le premier post incriminé date de plusieurs mois.

Plus préoccupant encore, cette affaire survient dans le contexte d’une offensive visant spécifiquement l’université et la production de savoir (loi censément contre l’antisémitisme dite Bergé-Hollande, annulation d’un colloque au collège de France, envoi d’un questionnaire visant à ficher politiquement les enseignants-chercheurs, etc.). La suspension scandaleuse de Théry est un élément de plus de cette séquence.

Depuis deux ans, nous avons vu la multiplication vertigineuse de ces polémiques, répétées à l’identique. Ce phénomène renferme une double violence : le racisme anti-palestinien qu’elle véhicule et la banalisation de l’antisémitisme, caractéristique d’une volonté plus large d’imposer la théorie raciste du «nouvel antisémitisme».
En tant que collectif antiraciste, notre responsabilité est d’intervenir concrètement dans une situation marquée par la radicalisation islamophobe et autoritaire de l’État français et par le génocide à Gaza. Dans cette perspective, on ne peut ignorer que la question de l’antisémitisme est instrumentalisée par les défenseurs de ces politiques et que c’est précisément là un obstacle pour une lutte contre l’antisémitisme efficace.


ASI : Plusieurs publications / partages sur les RS de Julien Thery ont été exhumés par des comptes malveillants et dangereux comme Sword of salomon. Certaines sont de simples critiques d’Israël, dénonciations du génocide à Gaza. D’autres, qui ont beaucoup circulé ces derniers jours, sont qualifiés d’ouvertement antisémites par certains, et considérées comme comportant des motifs antisémites clairs. Voici l’énumération des exemples que je vais évoquer dans l’article, si tu veux réagir à chacun d’eux plutôt que de faire une réponse générique car chaque cas est différent.

Tsedek! : Julien Théry s’est exprimé sur le premier meme, regrettant avoir partagé trop vite un post effectivement problématique. Nous constatons par ailleurs un défaut de modération évident sur le groupe Facebook de son émission. Soulignons la disproportion entre la gravité de l’accusation d’entretenir une «passion antisémite» et les éléments à charges censés la soutenir : de quoi rendre perplexe quiconque regarde l’affaire sans aucune connaissance du contexte d’énonciation ; une fois acquise cette connaissance, l’affaire tourne à la très mauvaise blague.
Nous jugeons pour notre part que la lutte contre l’antisémitisme et le racisme en général ne consiste pas à faire du commentaire d’images ou à établir des chaines de responsabilité dans des publications de réseaux sociaux. Là encore, il nous semble essentiel de réaffirmer que l’exceptionalisation de l’antisémitisme, seul racisme à faire l’objet d’une telle instrumentalisation, participe en réalité à la montée de l’antisémitisme dans la société en produisant du ressentiment contre les Juifs et les Juives. Ce type de mécanisme est notamment à l’oeuvre lorsque sont considérés comme des interlocuteurs légitimes pour parler d’antisémitisme des personnalités ayant manifestés à de multiples reprises leur racisme anti-palestinien, affirmant par exemple plusieurs mois après le début des massacres qu’un cessez-le-feu constituerait une «faute morale», ou légitimant en août dernier l’assassinat du journaliste palestinien Anas Al-Sharif. Ainsi, de la même manière, le fait que les accusations d’antisémitisme ne soient mobilisées qu’en vue de légitimer la politique criminelle israélienne et de justifier la mise en place de politiques autoritaires et racistes, en particulier islamophobes, empêche en réalité toute lutte réelle contre l’antisémitisme.


ASI : Émile Ackermann a publié une tribune dans Marianne, suite à notre entretien. Sa Thèse : «le point essentiel : si l’on affirme que l’antisémitisme à gauche n’existe pas, alors tout signe qui amènerait à penser le contraire doit, par définition, être réinterprété comme autre chose – provocation ennemie, manipulation néolibérale, propagande sioniste, ou malentendu lexical. Tout, sauf un problème interne, réel, à confronter. Et dès lors, la vigilance ne se porte plus sur les glissements mais contre ceux qui les signalent ; la suspicion ne concerne plus les tropes antijuifs mais ceux qui osent les nommer ; la parole juive, quand elle exprime une inquiétude ou une alerte, se voit renvoyée à son supposé arrière-plan idéologique, comme si les juifs, par essence, ne pouvaient qu’exagérer ou instrumentaliser ce qu’ils subissent». Il estime également qu’«il ne s’agit pas d’un accident mais d’un phénomène structurel, révélant un malaise profond d’une gauche désarmée face à un antisémitisme qui s’est recodé sous les habits de la justice ou de l’émancipation. D’où l’exigence de fixer en amont des lignes rouges claires, de se former, de mettre en place des réponses politiques fermes, en y ajoutant une dose de prudence avant de voler au secours d’une personnalité forcément accusée à tort d’antisémitisme. C’est la seule manière pour la gauche de s’assurer un avenir : lutter contre ses propres angles morts».
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Tsedek! : Émile Ackermann n’a manifestement pas compris l’article de Théry, dans lequel il est question «d’antisémitisme de gauche» et non «d’antisémitisme à gauche» comme il l’écrit. Quiproquo malheureux, car le développement qui suit ne tient plus. Personne ne nie qu’une personne «de gauche» puisse adhérer à ou véhiculer des représentations antisémites. En revanche, y a-t-il de l’antisémitisme de gauche, au sens d’une gauche qui porterait un projet politique antisémite ? C’est à nos yeux la question centrale. De notre point de vue, à la différence de toutes les autres composantes du spectre politique, la gauche de rupture défend au contraire un programme antiraciste (bien qu’il demeure insuffisant sur un certain nombre de points). L’analyse d’Ackermann dépolitise la lutte contre l’antisémitisme et participe ainsi au désarmement de la gauche dans la lutte contre le racisme.

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