Couv du communiqué. Plein de caricatures racelardes parues dans Charlie Hebdo.

Qui Charlie fait-il encore rire ?

Depuis de nombreuses années, Charlie Hebdo avait habitué ses lecteurs à l’affirmation d’un racisme décomplexé. Rarement pourtant le journal satirique n’avait suscité un tel tollé.

C’est Rokhaya Diallo qui a cette fois été ciblée par un dessin de Riss, également directeur de la publication. Au motif qu’elle serait une adversaire de la laïcité, l’essayiste est représentée dansant sur une scène, une ceinture de bananes à la taille. Son visage est en outre caricaturé en reprenant les poncifs négrophobes les plus abjects, directement inspirés par l’imaginaire colonial. 

Face aux réactions indignées, cette expression flagrante de misogynoire a été pourtant  pleinement assumée par le journal. Incapable de remettre en cause la violence de cette publication et de présenter ses excuses, l’hebdomadaire a plaidé une référence à Joséphine Baker, prétendant opposer son universalisme au communautarisme supposé de Rokhaya Diallo. Cette défense est inepte : qu’est-ce qui a conduit le dessinateur à associer ces deux figures, si ce n’est précisément leur couleur de peau ? Par ailleurs, c’est bien le racisme de la société française des années 1920 qui a conduit Joséphine Baker à endosser un costume flattant l’imaginaire colonial de ses spectateurs. En revêtir symboliquement Rokhaya Diallo aujourd’hui ne constitue aucunement une manière de retourner un stigmate, mais relève d’une forme de dégradation symbolique par lequel une femme noire est invitée à rester là où le regard raciste juge qu’est sa place : dansant sur une scène pour un public blanc, la taille ceinte de bananes. 

Fait assez rare pour être souligné, la condamnation de cette caricature dépasse pour une fois la gauche de rupture et englobe une partie de ses tendances libérales, habituellement muettes sur les questions d’antiracisme, notamment quand il s’agit de se positionner contre l’islamophobie.

D’un journal satirique plutôt marqué à l’extrême-gauche, l’ancienne équipe d’Hara Kiri s’est progressivement transformée sous l’impulsion de Philippe Val, directeur de la publication de 1992 à 2009, jusqu’à devenir une véritable officine de propagande au service d’une vision raciste de la laïcité et des «valeurs de la République». Cela fait maintenant plus d’une décennie que l’équipe de Charlie multiplie les publications outrancières,  accompagnant des articles de plus en plus clairement réactionnaires de dessins reprenant des codes iconographiques racistes, et notamment islamophobes.

Toutes les obsessions civisationnelles et conspiratoires y sont ressassées ad nauseam : liens supposés entre immigration, violence sexuelle et islam, insultes gratuites à répétition envers les femmes voilées, représentations racistes des musulman·es (souvent représenté·es avec un nez crochu et une mine agressive), négation constante de la forme de racisme spécifique qui les vise à travers la dénonciation du terme d’islamophobie, dénonciation d’un complot «frériste», etc. 

Les articles de Charlie ont accompagné activement la montée de l’islamophobie en France depuis plus de 20 ans. En 2022 un article mensonger de l’hebdomadaire signé Laure Daussy a ainsi servi à jeter l’opprobre sur une école privée musulmane de Valence, provoquant l’annulation illégale de son autorisation d’agrandissement de terrain par la municipalité, qui avait pourtant validé le projet.

Les exemples de racisme et de misogynie crasse du journal sont si nombreux qu’on peine à les énumérer. Outre un dessin insultant la mémoire des parents de Stromae massacrés au Rwanda durant le génocide tutsi, ou un autre suggérant que l’enfant exilé syrien Aylan Kurdi retrouvé mort sur une plage turque à l’age de trois ans serait devenu un agresseur en grandissant, Charlie Hebdo avait publié des dessins particulièrement ignobles moquant les viols subis par Gisèle Pélicot à l’occasion du procès de son mari et tortionnaire.  

Charlie pense n’épargner personne. Ses cibles favorites, et les seules qui lui permettent de bénéficier d’une couverture médiatique importante, sont pourtant bien celles qui aujourd’hui sont les plus discriminées, violentées, écrasées par les politiques racistes, capitalistes et patriarcales.  

La rédaction qui critiquait autrefois l’ordre établi a fini par s’y soumettre, et se fait aujourd’hui le relais zélé du discours dominant, tout en invoquant le droit à la subversion.

Aujourd’hui, la plupart de celles et ceux qui se posent en défenseur·euses d’une liberté d’expression absolue, de Charlie Hebdo à Pascal Praud, le font avant tout au service d’un agenda raciste. Les débats quant aux limites à lui apporter sont donc légitimes. Il ne s’agit pas ici de remettre en cause le droit à l’outrance ou à la caricature, mais bien d’en analyser l’incarnation politique, et d’interroger les rapports de pouvoir sous-jacents.

Il existe indéniablement des différences de ligne entre l’extrême-droite revendiquée et la sphère du Printemps Républicain dont Charlie est partie prenante. Pour autant, et bien que ce dernier semble convaincu du contraire, leurs connivences idéologiques sont elles aussi difficilement contestables.

Lorsqu’il s’agira de dresser le bilan de la diffusion des idées racistes au cours des années 2010-2020 en France, il sera sans doute malaisé de distinguer certaines caricatures publiées par Charlie Hebdo de celles de Minute, et certains de leurs articles de ceux de Cnews, Frontières ou Valeurs Actuelles. C’est aussi parce qu’il a été porté pendant de longues années par des partis ou des médias se revendiquant de gauche que le discours raciste a pu être à ce point normalisé. 

Dans ce cadre, Tsedek! réaffirme son plein soutien à Rokhaya Diallo ainsi qu’à toutes les personnes ayant été la cible des attaques racistes ou sexistes de  Charlie Hebdo.

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