De la paix à la justice

Raphaël Mimoun est juif franco-américain, militant des droits humains. Ce billet fait partie d’une série publiée sur son blog One Small Detail, où il partage ses analyses sur le sionisme et le conflit israélo-palestinien basées sur son vécu dans la communauté juive en France et en Israël. 

Actuellement, la plupart des Israélien·nes sont sur le pied de guerre, sans grande retenue : la droite israélienne appelle ouvertement au nettoyage ethnique et au génocide à Gaza ; le centre et la gauche affirment que les morts de civil·es sont malheureuses mais inévitables. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Dans ce billet, je veux parler d’à quel point le concept de paix est central pour de nombreux·ses Israélien·nes et sionistes, et pourquoi la paix seule n’a pas été et ne sera pas suffisante pour mettre fin au conflit.

Lorsque je vivais en Israël, j’étais un sioniste « progressiste« , et j’étais principalement entouré de sionistes progressistes venu·es d’Europe, des États-Unis et d’Amérique latine. Nous étions laïques, opposé·es aux colonies dans les territoires occupés, nous méprisions Netanyahu, et nous voulions « la paix au Proche-Orient« . Quand je dis que nous voulions la paix au Proche-Orient, je veux dire que cela faisait partie intégrante de nos identités politiques : nous étudions la politique du Proche-Orient, faisions du bénévolat dans les camps de réfugiés de Jénine ou de Naplouse, ou travaillions dans des « programmes pour la paix« . Nous considérions Yitzhak Rabin comme un héros et un faiseur de paix.

Les Israélien·nes autour de nous sortaient tout juste de la deuxième Intifada et, sans surprise, n’étaient pas aussi optimistes que nous. Cependant, il était évident dans nos conversations sur le conflit qu’elles et eux aussi aspiraient à la paix. Ce n’était certainement pas le cas de tous les Israélien·nes. Beaucoup pensaient que la cohabitation pacifique avec “les Arabes » était un rêve idéaliste, et certain·es, bien sûr, ne souhaitaient même pas la paix. Nous, du côté progressiste, nous voulions sincèrement voir advenir un jour un accord de paix. À l’époque, la solution à deux États était encore viable (ou du moins le semblait), et il y avait encore des pourparlers sporadiques entre le gouvernement israélien et l’Autorité palestinienne, nous donnant l’espoir que la paix était possible.

 

L’angle mort du bloc progressiste

 

Alors que la colonisation de la Cisjordanie par Israël était continue, que les Palestinien·nes étaient brutalisé·es quotidiennement et que l’isolement de Gaza grandissait, notre amour autoproclamé pour la paix pouvait sembler cynique ou inauthentique. Mais ce n’était pas le cas – nous la voulions sincèrement. Mais je réalise maintenant que vouloir simplement la paix ne sera jamais suffisant. Le problème était, et reste, que le sionisme progressiste ne s’est jamais concentré sur le besoin de justice – il ne nous a jamais poussé·es à prendre en compte les injustices passées infligées aux Palestinien·nes, ni à chercher des solutions pour qu’ils et elles obtiennent une véritable autodétermination.

Ce n’est pas une exagération. L’une des phrases accrocheuses que j’entendais souvent en Israël était « les Palestinien·nes ne manquent jamais une occasion de manquer une occasion« , en référence à la prétendue réticence des dirigeants palestiniens à accepter toutes les propositions de paix. J’entendais aussi des choses comme « les Palestinien·nes disent qu’ils et elles veulent la paix, mais n’en ont jamais assez« , suggérant qu’ils et elles en demandent beaucoup trop. Encore aujourd’hui, ce sont là quelques-uns des arguments les plus courants avancés par les Israélien·nes.

Mais nous ne nous demandons jamais : qu’y avait-il dans ces propositions de paix que les Palestinien·nes ont soi-disant rejetées ? Étaient-elles justes envers les Palestinien·nes ? Répartissaient-elles équitablement les terres et les ressources ? Accordaient-elles une véritable autodétermination aux Palestinien·nes ?

Le rejet par les Palestinien·nes du plan de partage de l’ONU de 1947 est souvent présenté comme le meilleur exemple de ce refus systématique. Nous ne nous mettons cependant jamais dans la peau des Palestinien·nes qui ont vu la population juive passer de 90 000 à 630 000 personnes en seulement 30 ans, puis qui s’est vu offrir 56 % du territoire de la Palestine mandataire, alors qu’elle ne représentait que 30 % de la population totale de la Palestine mandataire. Je ne pense pas que quiconque puisse considérer cela comme une proposition juste.

 

Du plan de partage à Camp David, l’illusion d’offres justes

 

Cinquante ans plus tard, en 2000, le rejet par Yasser Arafat du plan de paix de Camp David montrait soi-disant, une fois de plus, que les Palestinien·nes étaient peu disposé·es à faire des compromis. Mais, encore une fois, lorsque l’on examine de plus près ce qui s’est passé, la proposition n’avait rien de juste. Lorsqu’ils et elles avaient signé les accords d’Oslo cinq ans plus tôt, les Palestinien·nes avaient déjà accepté que l’État palestinien ne couvrirait que 22 % du territoire de la Palestine mandataire. Mais la proposition d’Ehud Barak à Camp David n’offrait même pas la possibilité d’un réel État, puisque l’État israélien devait contrôler les frontières et que le territoire était morcelé par de vastes blocs de colonies. Elle proposait également moins que les 22 % convenus dans les accords d’Oslo, avec un échange territorial humiliant de 9 pour 1 : Israël devait annexer 9 % de la Cisjordanie tandis que les Palestinien·nes recevraient l’équivalent d’1 % de la superficie de la Cisjordanie en terres israéliennes. En réalité, le gouvernement israélien était parfaitement conscient que son offre était absurde, et est revenu vers les Palestinien·nes avec des propositions bien plus réalistes quelques mois plus tard, lors du sommet de Taba. Dès lors, les négociations semblaient beaucoup plus prometteuses, jusqu’aux élections israéliennes de 2001, lorsqu’un nouveau gouvernement de droite fut élu et mit immédiatement fin aux pourparlers de paix. Faire porter aux Palestinien·nes la responsabilité du rejet de l’offre d’Ehud Barak revient à exiger qu’ils et elles acceptent n’importe quel accord de paix, peu importe à quel point l’offre est injuste – cela revient à ignorer l’idée même de justice.

Et en effet, quand j’étais plus jeune, l’idée de « justice » ne faisait pas partie de mon vocabulaire. Comme mes ami·es sionistes, ce n’était pas quelque chose à laquelle je réfléchissais. Nos appels à la paix étaient une réponse à la violence : nous voulions que la violence cesse parce que nos proches en étaient victimes, et pour certain·es d’entre nous, parce que nous pensions aussi que les Palestinien·nes méritaient de vivre en paix. Mais appeler à la paix était une réponse superficielle à la violence : cela nous évitait de réfléchir aux causes mêmes de cette violence, aux injustices historiques et actuelles qui l’attisent.

 

Pas de paix sans justice

 

C’est flagrant quand on écoute les discours de Yitzhak Rabin, le héros de la gauche israélienne et le dernier faiseur de paix d’Israël. De son discours lors de la signature des accords d’Oslo avec Yasser Arafat à ses côtés, jusqu’à ses dernières paroles lors d’un rassemblement pour la paix, quelques minutes seulement avant d’être assassiné, il ne parlait que de la sécurité que la paix apporterait aux Israélien·nes et de ses espoirs de voir cesser la violence.

Il n’a jamais mentionné, ne serait-ce qu’une seule fois, les injustices historiques ou actuelles infligées aux Palestinien·nes, ni la nécessité de les réparer. Rabin et les dirigeant·es israélien·nes qui sont venu·es avant et après lui et qui recherchaient la paix n’ont jamais œuvré à atteindre une forme de justice pour les Palestinien·nes – leur garantir une véritable autodétermination et tenir compte de décennies d’injustice.

J’ai longtemps pensé qu’Israël était moralement supérieur aux Palestinien·nes. C’était Israël qui appelait explicitement à la paix, cherchait un accord de paix, faisait des propositions de paix. Mais cette quête n’était pas simplement intéressée – ayant pour but de mettre fin à la violence à laquelle étaient confronté·es les Israélien·nes – elle niait également la justice : la vision d’Israël pour la paix ignorait les besoins des Palestinien·nes, effaçait leurs aspirations à la liberté, à la dignité et à l’autodétermination. Ce n’est que lorsque Israël intégrera à part entière l’idée de justice pour les Palestinien·nes que s’ouvrira un véritable chemin vers la paix.

Raphaël Mimoun

Ce billet est disponible en anglais ici.

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